Avant de venir en Irlande, on pense trouver une Angleterre miniature. Or le visiteur se trouve face à une sorte de dissonance cognitive permanente qu’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe. En effet, le pays est à la fois très accessible: petites villes, petites maisons, les rues fourmillent de pubs et de magasins ouverts 7 jours sur 7, tout en anglais ; mais aussi extrêmement dépaysant, puisque tout est aussi en gaélique, tous les panneaux sont bilingues (cf.photo). Or le Gaélique, ce n’est pas une langue indo-européenne, impossible de reconnaitre la moindre étymologie, de deviner le sens des mots, comme cela peut être le cas en Espagne, Italie, ou même dans les pays nordiques. On a à la fois l’impression de tout et de ne rien comprendre. C’est comme si on était en terrain connu tout en regardant en permanence de l’autre côté du miroir.
En outre, le folklore surréaliste autour des petits lutins verts omniprésents dans les vitrines, à côté des croix et symboles celtes eux aussi omniprésents, renforce cette impression d’étrangeté. Et la religion et les fairies (c’est le terme générique, qu’ils soient sous la forme de leprechauns, elfes, fantômes ou banshees) sont partout dès qu’on va dans un lieu touristique, boutique ou site historique.
En Irlande, tout comme en Ecosse, tout château qui se respecte est hanté. Les deux châteaux les plus hantés d’Irlande, à savoir Leap Castle et Charleville Castle se trouvent dans le county Offaly, à 1h30 de Dublin. J’ai vu l’extérieur Charleville après une visite de la très cozy distillerie de Tullamore – et un seul Irish coffee je précise. Il faut pour cela s’enfoncer à pied environ 1 kilomètre dans un parc étrange parsemé de vieux arbres aux racines courbées. C’était en novembre, il y avait également des plantes non taillées de ça et de là, comme oubliés. Même mon mari, à l’esprit pourtant profondément cartésien, m’a demandé de faire demi-tour une fois arrivés devant la grille (cf. photo)..
Et pour trouver de la magie sans devoir s’enfoncer dans l’Irlande profonde ? il ne faut pas aller très loin..direction Malahide, troisième sur le podium ! Le château se trouve à 10 mn à pied après le terminus du DART, sort de RER qui longe la baie de Dublin, aberration écologique mais trajet sublime qui longe la mer d’Irlande. Dans le village de Malahide se trouve un ancien château du XIIe, multiplement hanté, ainsi qu’un grand fairy garden, jardin féérique. Sur plusieurs hectares, de multiples constructions miniatures recréent un univers pour de petites créatures. Les Irlandais ne sont pas les seuls à tailler ces espaces à part, lieu à la fois de dépaysement et de connexion à la nature. On pensera également aux bonsaïs japonais ou aux traditions des elfes et gnomes scandinaves, entre autres. Loin d’être de simples lieux de jeux pour les enfants, ces jardins sont conçus comme des portails entre le visible et l’invisible. Celui de Malahide s’étend sur plusieurs hectares, des maisonnettes miniatures aux livres de sorts, en passant par des panneaux routiers, école et même aéroport, on y découvre tout un monde miniature (cf. photo).
La visite se poursuit par le château où le guide nous explique qu’une famille française, les Talbot, a habité le château pendant 30 générations. Il est maintenant propriété de l’état et habité uniquement par divers fantômes, le plus connu étant Puck. Puck était un bouffon de petite taille tombé éperdument amoureux d’une des filles Talbot. Celle-ci ne lui rendant pas la pareille, il s’est suicidé de désespoir, mais vient régulièrement observer les visiteurs par une petite porte de la salle à manger (cf. photo).
Les Irlandais sont bavards. Je l’avais déjà mentionné après avoir pris différents cars et trains dans le pays. Et ça papote, et ça papote. Il faut bien comprendre l’importance d’une ancienne tradition, le Storytelling. Dans les cottages ruraux où des familles nombreuses se partageaient un petit espace, la vie n’était pas toujours facile. Dans les rares moments de loisir, il était courant que des conteurs passent raconter des histoires. Le musée des Leprechauns en plein Dublin moderne n’est pas une collection d’objet kitsch, loin de là, c’est une plongée orale d’une heure dans les légendes irlandaises, au chaud dans un monde parallèle, touristes à l’anglais sommaire s’abstenir. On y apprend entre autres que les lutins étaient traditionnellement bruns pour pouvoir se cacher dans la nature, mais que c’est Walt Disney qui les a verdis pour ainsi dire, trouvant que cela rendait mieux sur grand écran ! On y apprend également que la signification première du fer à cheval est que les fairies ne supportent pas le fer, c’est la raison pour laquelle un fer à cheval protégeait les maisons (et c’est également la raison pour laquelle le sang des fairies n’est pas rouge, car il ne contient pas de fer). On y apprend aussi l’origine des citrouilles taillées lors de Halloween, anciennement célébration gaélique de Samhain : elles auraient été taillées par un certain Jack, qui avait réussi à déjouer le pacte conclu avec le diable et ne pas lui donner son âme. Mais il s’est par conséquent retrouvé à la fois à la porte de l’enfer et du paradis à sa mort, avec l’accès refusé des deux côtés et condamné à errer dans les limbes. Il a du coup taillé des citrouilles pour y mettre une bougie afin d’y voir quelque chose dans ce no mans land. Où s’arrête la religion, et où commence la superstition ?
Alors, ces références fréquentes au surnaturel sont-elles juste de simples attrape touristes ? Et c’est là où il est intéressant de rapprocher les histoires de l’Histoire. En effet, entre le 14e et le 18e, une chasse aux sorcières a sévi dans toute l’Europe, faisant selon les sources entre 40.000 et 80.000 victimes, des femmes brûlées pour la plupart. La seule exception ? L’Irlande ! Irlande, terre chrétienne par excellence, entre une écrasante majorité de catholiques oppressés et une minorité de protestants oppresseurs. Or sur la verte Erin, seules de rares personnes ont été condamnées et quatre exécutées pour sorcellerie durant cette période. Ce chiffre interpelle, et l’insularité de l’Irlande n’explique pas la chose, puisque l’Angleterre voisine était, elle, fortement engagée dans la chasse aux sorcières. A part de rares procès (Alice Kyteler à Kilkenny et Islandmagee principalement), on laissait les « sorcières » en paix sur l’ile d’émeraude. En fait, il faut remonter très loin pour comprendre cet état d’esprit.
Les fairies sont réputés être les habitants originels de l’ile, chassés sous terre par l’arrivée des Celtes. C’est ainsi que la croyance traditionnelle envisageait une cohabitation entre les humains sur terre et les fairies sous terre, se partageant ainsi l’ile d’Irlande. D’une façon ou d’une autre, cette mythologie ancienne s’est accomodée du christianisme, et vice versa. Cette croyance fortement ancrée est très probablement la raison pour laquelle la chasse aux sorcières n’a fait que de de très rares victimes dans un pays profondément chrétien. Parce que l’idée est toujours « don’t bother the fairies », les créatures pourraient sinon se venger. Pour la paix de tous, il fallait donc les laisser vivre leur vie. Religion et superstition ont toujours fait bon ménage en Irlande.
Superstitions d’un autre temps me direz-vous ? Que nenni ! Aujourd’hui encore, nombre de familles ont leur propres histoires surnaturelles, émaillées de fairies, banshees – ces femmes qui pleurent annonçant la mort d’un proche – ou leprechauns – petits lutins malins jamais à court de farce. Et ces mêmes familles vont à la messe le dimanche. On trouve à travers toute l’Irlande moderne de supposés points d’entrée vers ce monde souterrain parallèle. En 1999, la construction d’une autoroute majeure entre Limerick et Galway, la M18 a été retardée de 10 ans, parce que le tracé prévoyait de détruire un buisson d’aubépine, considéré par les habitants locaux comme un fairy bush, théâtre de nombreuses batailles entre les fairies du Kerry et du Connaught, certains affirmant même avoir vu d’étranges lumières, voire du sang de fairies. Un fokloriste a médiatisé l’affaire, prédisant des malheurs qui s’abattraient sur l’équipe de construction ainsi qu’une route fortement accidentogène en raison d’une vengeance probable des fairies…et l’Etat irlandais, cédant à l’opinion publique et pratiquant la politique du « dans le doute abstiens toi » a fini par financer une onéreuse modification de tracé afin d’épargner le fairy bush, toujours bien visible depuis l’autoroute aujourd’hui.
Résidents et touristes, à vous de décider ce que vous voulez croire ou non, mais dans le doute, don’t bother the fairies !
Pauline Chatelain






as always a well researched and profound article – this time on fairies and leprechauns … but la magie passe et on a bien envie de visiter Charleville castle (mais seulement apres 3 ou 4 Irish whiskeys pour se donner du courage)
jai adoré larticle – delighted by the article
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