Trinity College

Trinity College, c’est un lieu unique au monde, à la fois une excellente université et un haut lieu touristique, probablement l’endroit le plus visité d’Irlande. On vous dira que c’est la Guinness storehouse, mais en fait absolument tous les touristes viennent voir le magnifique campus dont l’accès est libre et gratuit, et faire des photos devant le campanile (cf.photo), avant de décider si ils veulent payer pour aller voir le Book of Kells et la vieille bibliothèque. Et ça, ce n’est pas quantifiable.

Un peu d’histoire : contrairement à ce qu’on pourrait penser, Trinity College n’est pas une université catholique, mais a été fondé en 1592 par la reine Elisabeth I. sur les lieux d’un ancien monastère catholique, et fut durant 200 ans accessible uniquement aux Protestants. La religion n’est jamais bien loin en Irlande. Et d’ailleurs, Trinity abrite en son sein un artefact unique sur la planète entière : le Book of Kells. Le livre de Kells qui représente les 4 évangiles en latin avec de somptueuses décorations fut écrit et dessiné autour de l’an 800 sur une ile écossaise, amené à Trinity pour sa sauvegarde par un évêque au XVIIe et y est resté depuis. Des grandes reproductions en couleur dans l’antichambre de la vitrine et une visualisation numérique à la fin de la visite, permettent d’atténuer ce que j’appelle « l’effet Joconde » : des touristes amassés devant un tout petit objet, et on se dit tout ça pour ça.. Il n’empêche que le Book of Kells, du fait de son âge et son état de conservation, est un artefact absolument unique sur la planète entière et vaut à lui seul un déplacement à Dublin. Il se visite avec l’ancienne bibliothèque, qui est tout simplement sublime (cf. photo). Cela rend l’université unique mais aussi vulnérable au chantage, ce qu’un groupe d’étudiants militants en faveur de la Palestine a récemment utilisé en bloquant l’accès à Book of Kells et donc à de précieuses ressources financières dont l’université a besoin, pour financer des bourses entre autres.

Nonobstant l’actualité, en temps normal, Trinity College est un lieu de visite obligé pour toute personne qui aime les choses uniques ou la lecture. Même à l’ère des smartphones, il y en a encore beaucoup !

Académique à l’intérieur, touristique à l’extérieur, on vit en permanence avec cette double vie quand on travaille ou étudie à Trinity, c’est à la fois étrange et vivifiant. Trinity College est la meilleure université du pays. De par son architecture, son emplacement en plein centre et son histoire, Trinity College est un lieu très particulier, on y pense à chaque fois qu’on franchit l’arche d’entrée. On sent une fierté sous-jacente chez tous les étudiants, d’avoir été admis. Les cours à l’intérieur, les touristes à l’extérieur, grande fierté intérieure, timidité extérieure, gaéliques à l’intérieur, anglais à l’extérieur, beaucoup de choses sont doubles à Trinity comme dans le reste du pays. Cela crée chez le visiteur ou résident non-irlandais un double sentiment de familiarité et d’étrangeté qui ne vous quitte jamais vraiment en Irlande.

La familiarité, c’est le milieu anglo-saxon avec la terminologie, l’organisation de l’année universitaire et les examens beaucoup basés sur le principe des essays. L’étrangeté, cela commence avec les prénoms, autant la génération de leurs parents s’appelle John ou Mary, autant les étudiants de 2024 se prénomment Aoife, Oisin, Eoin, Sadhbh.. Il ne faut certes pas apprendre l’irlandais, mais apprendre à prononcer les prénoms gaeliques, cela requiert un minime d’entrainement quand on sait qu’il y a un gap entre la façon dont le Gaeilge s’écrit et la façon dont il se prononce.

Enseigner à Trinity, c’est se trouver face à des étudiants très bien élevés. Pour la plupart, ils étaient dans un lycée en uniforme et souvent non mixte, soumis à une discipline rigoureuse. Ils découvrent en première année la liberté de s’habiller librement (et les choix cruciaux à faire chaque matin !) et gardent en eux cette politesse très irlandaise. Dès que l’enseignant commence à parler, c’est le silence, on l’écoute (ou pas), mais on ne va pas perturber le cours avec les bavardages. C’est extrêmement agréable. L’autre facette de la médaille, c’est une certaine passivité. Ils sont habitués à être très cadrés et ne vont pas prendre beaucoup d’initiative, cela inclut la prise de parole. Quand on enseigne une langue étrangère, ce qui est mon cas, cela requiert du doigté pédagogique afin de les faire parler.

Les étudiants irlandais vous diront en général la vérité sur eux même. Cette honnêteté est parfois presque déroutante, quand on sait que pour être excusé il suffit d’envoyer un mail avec une raison valable avant le début du cours. Là où un Français aurait affirmé être au lit avec la gastro, l’étudiant irlandais vous raconte presque naïvement qu’il a été en Espagne avec ses parents.

A propos d’excuse, cela donne lieu à des situations parfois cocasses quand il faut excuser un étudiant qui part à l’autre bout du pays pour fêter les 100 ans de son arrière grand-mère le jour même d’un examen. Et oui, c’est considéré comme une raison valide..

Si la famille compte beaucoup, le sport aussi. Dans ce domaine-là, la culture irlandaise est très présente.  L’Irlande excelle en rugby et en sports gaéliques : hurling, camogie, gaelic football. Avez-vous déjà assisté à un match de hurling ? Cela ressemble à du Quidditch, le balai en moins ; étrangeté vous dis-je.. C’est ainsi que beaucoup d’étudiants sont engagés dans une équipe sportive, qu’elle soit à Trinity ou dans leur village d’origine. Et ils intègrent les entrainements à leur routine quotidienne et hebdomadaire, qui implique parfois de retourner tous les week-ends chez ses parents afin de participer aux entrainements. Ils sont régulièrement excusés de cours pour des compétitions.

La religion n’est pas taboue, contrairement à la France. Il y a des prêtres et pasteurs rattachés à l’université. Des offices œcuméniques complètement facultatifs ont régulièrement lieu et les chaplains annoncent sur le tableau d’affichage prier pour le succès des étudiants lors des examens. Il n’empêche que la religion est une affaire personnelle, et en pratiquer une ou pas de vous causera pas de souci.

Les étudiants irlandais sont à l’image des autres générations, à la fois très fiers d’eux, de leur famille et de leur pays, et à la fois regardant les autres pays, les grands surtout, avec les yeux de Chimène. Mais on sent leur attachement viscéral à l’Irlande. En allemand par exemple, ils doivent faire des présentations sur les universités Erasmus partenaires et la ville d’accueil. On y trouvera systématiquement une page de PowerPoint présentant le ou les pubs irlandais de la ville en question..

Si on leur demande quels sont leurs projets diplôme en poche, la grande majorité vous répondra qu’ils vont d’abord aller vivre et travailler quelques années à l’étranger, puis reviendront en Irlande ensuite. Cette double attitude – envie d’ailleurs et profond ancrage à leur terre natale – est assez typique des Irlandais d’aujourd’hui. Longtemps terre d’émigration, le pays a gardé cela dans son ADN même si la république est statistiquement devenue une terre d’immigration.

C’est ainsi que Irlande et Famille se conjuguent au passé, présent et futur pour les Irlandais. Cela se ressent dans leur discours et se voit dans leurs écrits.  Le passé, c’est à la fois leur histoire, dont ils sont en général fiers, ainsi que les décès qui impliquent systématiquement une absence des cours, et ce quel que soit le degré de parenté. La mort fait partie de la vie en Irlande : entre la veillée funéraire et la réunion au pub après le cimetière, les funérailles sont un acte éminemment social. Le présent c’est leur famille, avec laquelle ils vivent toujours par manque d’éloignement ou de moyens ou bien qu’ils ne voient jamais assez selon leurs dire, si Dublin est trop loin. L’avenir, c’est à la fois le retour vers la terre promise d’Irlande après des années à l’étranger et celle qu’ils veulent en général fonder un jour.

Les trimestres sont courts à Trinity, deux fois 11 semaines, cela fait un mini marathon d’examens et d’essays chaque semestre, avec une semaine de simili pause, la reading week, au milieu. Ce qui fait que le rez-de-chaussée du Arts Buildings ou je travaille (c’est le bâtiment qui donne sur Nassau Street) bruisse en permanence de mi-septembre à fin novembre puis de fin janvier à mi-avril. Il est en demi sommeil le reste du temps. Nombre d’associations, les societies se présentent en début d’année. Il est de bon ton d’adhérer à quelques-unes d’entre elles. Au mois d’avril, à la fin des cours, a lieu une grande fête connue dans toute l’Irlande, le Trinity Ball.

En période de cours, dans les étages, les couloirs bruissent, mais moins fort que le rez-de -chaussée, ils sont parsemés de sièges, tables.. et canapés (si si..), il n’est donc pas rare de voir un étudiant y faire la sieste. Les Irlandais ne sont pas des lève-tôt, le cours de 9h est détesté de tous. Ajoutez à cela le fait que nombre d’entre eux restent habiter chez leurs parents des comtés voisins parfois distants de 50 kilomètres car les familles ne peuvent pas financer et/ou trouver un logement sur Dublin, l’insuffisance et le manque de fiabilité des transports en commun (pas de métro, des bus souvent en retard, un tram qui ne couvre que 2 lignes) et vous obtenez un public les yeux lourds de sommeil et un red bull à la main, en retard pour la première heure. Bon, c’est aussi dû au fait que les Irlandais sont fêtards et que pour certains la nuit a été courte hein..

Dès que l’on met un pied dehors, on est happé à la fois par les touristes et le bruit de la ville. Une grande université en plein centre, c’est très rare, et c’est ainsi que l’on passe sans transition de l’ambiance académique à l’ambiance urbaine. Et c’est très agréable de tout avoir à portée de main. Ajoutez à cela les les touristes – en général en grappe, on ne peut pas les rater – qui ne cessent de vous rappeler par leur présence que vous avez le privilège de travailler dans un endroit mythique que des gens du monde entier viennent visiter. Pauline Chatelain

La vieillie bibliotheque
Le célèbre Campanile
Globe sculpté sur le campus
Le Book of Kells

Publié par pchatelain

Je suis une Française qui habite actuellement en Irlande et qui s intéresse particulièrement à la valeur des mots

Un avis sur « Trinity College »

  1. on adore comme toujours – une grande finesse dans l’analyse et beaucoup d’amour pour les Irlandais dans la description de leurs spécificités

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