Un week-end dans le Connemara

Pour qui connait à la fois les paroles de la chanson de Sardou et l’Irlande, ce qui est le cas de 99% des Français pour la première, et d’une petite minorité dont je fais partie pour la seconde, nous avons bien compris que « les lacs du Connemara » n’est pas une chanson de droite, ni de gauche d’ailleurs. C’est juste une chanson profondément irlandaise. Mais la réalité correspond-elle à la photo ancrée dans l’imaginaire des Français ?

Destination le Connemara, en famille ! Et c’est ainsi qu’un soir brumeux de février, je prends le train avec mes parents, ma sœur et ma fille ainée, pique-nique complet dans le sac à dos. Nous déchantons à la gare de Heuston, qui indique partout et en grosses lettres que l’alcool est interdit dans tous les trains. Qu’importe, nous prenons quand même un apéritif dans les gobelets de thermos, cela ne se voit pas. Et de nous raconter nos vies respectives durant les deux heures 30 que dure le voyage. Moralité, nous avons voyagé à l’irlandaise : buvant en douce et sans arrêter de papoter !

Arrivés à Galway, nous prenons possession du Airbnb, situé dans une vieille maison du XVe siècle, une première pour tout le monde, c’est magique. Galway, petite ville débordant de pubs et de jolies maisons, c’est très mignon, mais aussi très civilisé. Amateurs de tourisme trépidant, restez à Galway !

En effet, dès que l’on quitte Galway on quitte également la civilisation telle que nous la connaissons, pour entrer en Gaeltacht, terre purement gaélique, « au temps des Gaels ». En l’espace de 30 kilomètres, on bascule dans un autre univers :  une fois passé Oughterard, les maisons se raréfient, les moutons et les lacs se multiplient. C’est comme si on avait creusé une route au milieu d’un parc naturel, composé de tourbe, eau et ovins. « Terre brûlée au vent, des landes de pierres », oui totalement, la tourbe résiste mais certains arbres ont pris l’inclinaison du vent pour l’éternité. On est dans un univers parallèle, la magie réapparait entre la nature indéchiffrable et les murets en pierre. Alors va-t -on « au rythme des saisons au pas des chevaux » ? Les saisons oui, les chevaux il faut les chercher en revanche, tout le monde est motorisé au XXIe siècle, même s’il est vrai que dans les routes particulièrement reculées ce sont les ovins qui prennent le pas sur les voitures des humains.

Contrairement à ce que dit la chanson, le Connemara n’est pas un comté, mais une péninsule, partie du comté de Galway. Ce sont des champs et tourbières à perte de vue, délimités par de vastes collines qui forment un barrage entre la tourbe et le ciel, parfois noir et menaçant. Quand il n’y a pas de vent, c’est une terre paisible, que l’on peut arpenter des kilomètres durant, manteaux et bonnets bienvenus. C’est une terre essentiellement sauvage, parsemée de villages et châteaux, véritables petits bijoux de ça et de là.

Aux jardins de Ste Brigid, nous marchons dans un joli parc aménagé, qui à l’aide d’arbustes, de pierres gravées et de symboles, donne aux visiteurs un cours accéléré de culture celte.

A Kylemore, nous sommes tous touchés par la belle histoire d’amour des créateurs de ce lieu, sorte de château de conte de fées au milieu de nulle part. Faire rapatrier le corps de son épouse depuis l’Egypte, lui installer un mausolée dans ce lieu conçu à deux, et lui survivre 40 ans sans prendre successeure, ça c’est de l’amour…

A Leenaun, nous admirons le seul fjord d’Irlande, c’est comme si les montagnes se déversaient dans l’eau, avec au milieu un minuscule village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur.

A Clifden, nous saisissons l’opportunité de faire un peu de shopping, dans ce gros village aux maisons colorés, ilôt de civilisation au milieu de cette magnifique terre rude.

Tous ces petits bijoux ont un charme hors du temps.

Durant tout le trajet, nous croisons nombre d’églises et de croix celtes, savant syncrétisme de cultures païennes et chrétienne ; « le jour viendra, il est tout près, où les irlandais feront la paix autour de la croix ».. oui ce jour est arrivé en 1998, paix imparfaite certes (cf. article à venir l’Irlande face au Brexit), mais paix tout de même. C’est d’ailleurs une magnifique croix celte qui orne la tombe de John Hume, l’un des principaux artisans de cet accord, en Irlande du Nord. La religion n’est pas politique en Irlande, elle est identitaire : on est protestant et loyaliste à la couronne ou catholique et républicain irlandais, bien avant d’être de droite ou de gauche.

En trois jours, notre groupe est complimenté trois fois : la première parce que ma sœur et moi nous sommes toutes les deux gauchères et donc blessed selon les irlandais, bénies. (En ayant grandi en France dans les années 70, je vous garantis que ce n’était pas le cas..on apprenait encore à écrire avec un stylo encre et on se faisait régulièrement réprimander parce qu’on répandait de l’encre et qu’on écrivait « moins bien » que les autres ..) La seconde parce que qu’on nous trouve trop jeunes pour prendre la navette de touristes, nous disant qu’on sera plus rapides à pied. Et la troisième fois au pub, la serveuse de nous dire : « ah vous êtes Français, nous dans le Connemara on adore les Français qui viennent beaucoup grâce à la chanson ! » Trois fois en un week-end, c’est une véritable cure pour l’estime de soi ! Et je vous passe les compliments sur mon chapeau et ma bague de Claddagh.

Enfin, c’est sur sky road, au bout du monde, que nous passons la dernière nuit dans un B&B, au bout des falaises face à l’océan, vue imprenable sur la côte et la mer, un traitement de stars hollywoodiennes… Au B&B le lendemain matin, nous discutons un peu avec notre charmante hôtesse, Frédérique, qui est française. Et de lui demander ce qui l’a amenée au bout du monde. En fait, elle avait géré un B&B en France pendant des années, et lors d’un tour d’Irlande elle a découvert le Connemara avec son mari. Le coup de foudre pour la région a été tel qu’ils ont annulé la suite de leur voyage et cherché une maison à acheter. Cet attachement viscéral à la terre d’Irlande est un sujet récurrent dans les conversations avec les irlandais et les amoureux de l’Irlande, presque un topos, un véritable « repos de l’âme ». Cet amour de la terre, les gens qui travaillent dans le secteur de l’hospitalité le transmettent : si vous choisissez de dormir chez eux, vous aurez des conseils de visites et d’activité, les yeux brillants de votre hôte en prime ! Frédérique prépare un délicieux full irish breakfast aussi bien version carnée que végane, ce qui convient à tout le monde, avec en prime une excellente tarte aux myrtilles fait maison.

 Le tour complet de Sky road n’est à recommander que pour les estomacs bien accrochés, la vue y est époustouflante, l’étroitesse de la route à double sens également…

Durant ces trois jours, je suis rationnée, seulement deux fois par jour la chanson de Sardou sur l’autoradio. Il faut croire que le reste de la famille ne partage pas ma passion. Je suis outrée. Si je suis rationnée sur la musique, je le suis moins sur l’alimentation en revanche… Ce qu’il y a de bien pour les palais français, c’est qu’en Irlande, les cafés cozy et indépendants servant des repas frais ne manquent pas, et l’offre est en général adaptée à la fois pour les carnivores et ceux qui ne mangent pas de viande. Les lieux touristiques en sont particulièrement bien pourvus de ce genre de cafés et de pubs accueillants. Et nous ne nous privons pas. C’est ainsi qu’en trois jours, mon père arrive à déguster les célèbres Guinness Pie, Fish and Chips, lamb stew, sandwich au saumon, bread and butter pudding ainsi que des huitres du Connemara, tous réalisés avec des producteurs locaux, il peut cocher la case du tour de la gastronomie irlandaise ! Dans le même temps, ma fille végane se régale de ragoût de pois chiches, pizza aux légumes et soupe maison réconfortante, pendant que ma sœur se découvre une passion pour le soda bread tartiné de beurre irlandais. Nous décidons ma sœur et moi que le vin servi dans les pubs n’est pas si mal que cela, pendant que ma mère découvre le Irish coffee avec délice. Nous testons même l’honorable bière locale, et engloutissons le shot de l’inimitable Guinness servi avec les huitres, à l’irlandaise comme il se doit ! Grace à ma fille, son thé et son excellente conduite, nous pouvons profiter de tout cela sans mettre nos vies et nos permis en danger, il vaut mieux être alerte sur les routes du Connemara.

Nonobstant les références géographiques approximatives, les paysages décrits par Sardou sont bien réels, les artefacts également. La mythologie celte surpasse ici celle de son cousin écossais du « monstre des lacs », ce qui ne doit pas empêcher les visiteurs d’y venir l’esprit et les yeux ouverts, la musique à l’oreille.. le Connemara est un univers parallèle empreint d’une magie propre. Prenez le temps de la savourer.

(Les citations entre guillemets sont tirées de la chanson les lacs du Connemara, Michel Sardou, 1981.)

Kylemore Abbey
B&B sur Sky Road
Tour de Sky Road
Sur la N59

Publié par pchatelain

Je suis une Française qui habite actuellement en Irlande et qui s intéresse particulièrement à la valeur des mots

3 commentaires sur « Un week-end dans le Connemara »

  1. Magnifique récit – un de plus – qui donne une envie folle d’aller découvrir cette terre brûlée au vent (aussi fan de Sardou (à l’époque) et aussi gauchère). Merci!

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