L’Irlande n’est pas connu pour être un pays particulièrement égalitariste. A raison : l’avortement n’y est autorisé que depuis 2018, l’homosexualité décriminalisée depuis 1993, le divorce légalisé depuis 1995 ( !) . Jusqu’en 1973, une femme mariée n’avait pas le droit de travailler pour la fonction publique, elle devait démissionner en se mariant. Ce n’est que depuis 1998, qu’une loi interdit toute discrimination de genre à l’emploi.
Des femmes irlandaises hors du commun, il y en a eu beaucoup. Mais c’est d’autant plus remarquable dans un pays où et la gouvernance et la religion se sont longtemps employés à les maintenir à un rôle subalterne. En voici quelques exemples.
La reine Maeve : légende ou réalité, on ne le sait, toujours est-il que Maeve occupe une place à part dans l’imaginaire irlandais. Symbole d’une femme libérée, aussi talentueuse que belle, avec un fort appétit sexuel, elle aurait vécu et régné sur la province de Connacht (à l’ouest) autour de -50. C’était la fille d’un roi, elle-même excellente guerrière. La légende la plus connue la concernant touche à une conversation intime qu’elle aurait eu sur l’oreiller avec son époux Aillil, chacun des deux conjoints prétendant être plus fortuné que l’autre. Après calculs détaillés, il s’est avéré qu’ils possédaient autant de biens l’un que l’autre, la seule différence étant un fabuleux taureau possédé par son époux. Et Maeve de partir à la recherche d’un taureau au moins équivalent, et l’ayant trouvé au nord de l’ile jusqu’à déclencher une guerre avec la province d’Ulster pour récupérer par la force le taureau en question ! Apres cette victoire dans le sang, les deux taureaux des époux sont gardés sur le même terrain, et vont s’encorner mutuellement jusqu’à en mourir, tout ça pour ça..
Encore aujourd’hui, l’emplacement de la tombe présumée de Maeve près de Sligo prête à de nombreuses conjectures, d’autant plus qu’on lui attribue des pouvoirs particuliers. Elle serait enterrée debout, plein Nord, afin de faire face à ses ennemis d’Ulster, sorte de précurseure du conflit Nord-Irlandais en quelque sorte
Fantasme d’une femme toute puissante, allégorie d’une certaine forme d’hubris et du conflit irlandais, Maeve représente beaucoup de choses pour les Irlandais. A tel point que son prénom a connu une forte résurgence récemment, prénom qui signifie « intoxicating » ou « she who rules »
Saint Brigid : Une autre figure, dont l’existence semble attestée sans que les historiens s’accordent tous sur la question, est sainte Brigid (451-523). Brigid est née de parents païens, qui lui avait donné le nom d’une ancienne déesse celte. Elle a décidé très jeune de se convertir au christianisme, et de mener une vie religieuse ce qui l’amena à bâtir un couvent à Kildare. Cela parait presque banal vu du XXIe siècle, mais une femme qui fonde et dirige une institution au Ve siècle, c’était un accomplissement extraordinaire, d’autant plus que selon la loi de l’époque les femmes étaient « legally incompetent « (n’avaient pas de capacité juridique), une femme était forcément définie par son parent mâle le plus proche, père ou époux en général. La voie monastique était l’un des rares moyen d’émancipation féminin à l’époque et permettait d’avoir un rôle social et une certaine autorité, et encore à condition d’avoir une fonction de direction reconnue, ce qui était le cas de Ste Brigid.
Cette double affiliation celte et chrétienne, en fait une fascinante figure hybride, dont l’histoire est baignée à la fois de légendes celtes et de tradition chrétienne. De nombreux mythes et anecdotes circulent autour de St Brigid, la déesse aurait eu le contrôle du feu et le pouvoir de guérir les animaux notamment. L’abbesse, elle, est particulièrement connue pour sa croix : dans le but de convertir la population, essentiellement rurale, elle aurait pris des brins de paille pour confectionner une croix (cf. photo). Cette croix est ensuite accrochée dans les maisons, pour les protéger du feu, de la faim et du mal.
Ste Brigid est décédée le 1er février, à sa mort les sœurs auraient allumé et entretenu un feu en sa mémoire des siècles durant. Cette idée des ténèbres vers la lumière, se retrouve encore aujourd’hui puisque le 1e février et un jour qui pour les Irlandais, coïncide avec la fin de l’hiver, ce qui est tout à fait justifié au vu du climat tempéré irlandais. C’est d’ailleurs à cette date qu’apparaissent les premières jonquilles sur l’ile d’Emeraude.
Ste Brigid est rapidement devenue avec St Patrick l’une des grandes figures fondatrices irlandaise et l’une des trois saints patrons irlandais avec St Patrick et St Colomba. La croix de Ste Brigid est toujours confectionnée par les enfants à l’école primaire autour du 1e février, qui est devenu un jour chômé depuis 2023 : c’est la toute première fois dans l’histoire du pays qu’un jour est déclaré férié en l’honneur d’une femme, fait rarissime sur toute la planète d’ailleurs.
Ste Brigid est un parfait syncrétisme des racines religieuses irlandaises, à la fois celtes et chrétiennes, dont le plus bel exemple est la célèbre croix celte qui combine l’adoration au dieu soleil avec la croix catholique (cf. photo). Cette double origine – la fusion du personnage historique et de la déesse païenne – fait que Ste Brigid cumule : elle est patronne à la fois de la poésie, de l’apprentissage, des parturientes, des enfants, de la guérison, des forgerons, du bétail.. et de la production de lait. Quand on sait la place quotidienne que prend le lait dans l’Irlande, même encore aujourd’hui plus que le pain en France, c’est dire l’importance de Ste Brigid dans le milieu agricole et dans tout le pays !
Passons maintenant à Grace O’Malley, figure historiquement attestée cette fois, au nom irlandais de Grainne Ni Mhaille (1530-1603), fille de pirates devenue pirate elle- même. La devise de sa famille, le clan des O Malley était aisé, était « powerful by land and by sea » (puissants sur mer et sur terre), elle s’est appliquée toute sa vie durant à lui rendre honneur. La notion de « piraterie » était différente à l’époque et la frontière entre pirates et corsaires parfois floue. Légal ou non, si l’on considère le fait que le milieu des marins est particulièrement misogyne, et que son activité avait aussi sa justification dans la résistance à la couronne britannique cela met en relief l’accomplissement incroyable de Grace. Elle se serait rasé sa longue chevelure rousse afin de pouvoir gérer un bateau et son équipage sans encombre, d’où le surnom de Grace la chauve…ce qui ne l’a pas empêchée de se marier deux fois et d’avoir 4 enfants.
L’épisode le plus célèbre de sa vie, et abondamment attesté, fut sa rencontre avec la reine Elizabeth Ie en 1593 au château de Greenwich. Grace ne parlait pas anglais, la reine ne parlait pas le gaélique, par conséquent les deux femmes se sont entretenues en latin. Ceci atteste au passage du niveau d’éducation élevé de Grace. C’est Grace qui avait pris l’initiative de la rencontre malgré le risque qu’elle prenait (elles étaient ennemies, mais également reines dans l’esprit de Grace), afin de faire libérer son fils préféré. Libération qu’elle obtint du reste à l’issue de l’entretien.
Grace O’Malley est à elle seule le symbole de la rébellion contre le patriarcat et contre la domination anglaise tout à la fois, et paradoxalement garante des traditions (style de vie gaélique), mais aussi symbole d’une mère absolue, prête à tous les risques pour sauver son fils.
Evoquons enfin Constance Markievicz (1868-1927). Née Gore-Booth, elle venait d’une famille aristocratique de Sligo. C’est lors d’un voyage à Paris qu’elle rencontra un comte polonais et pris ainsi le nom de Markievicz. La fille unique du couple est prénommée Maeve, tout un symbole !, et le couple s’installe à Dublin, où la comtesse s’intéresse peu à peu à la cause nationaliste. Elle est arrêtée pour la 1e fois, mais non la dernière, en 1911 lors d’une manifestation contre la visite du roi George V en Irlande. Elle est de nouveau arrêtée en 1916 suite à son activisme lors du soulèvement de 1916, seule femme à passer en cour martiale, elle est condamnée à mort, mais sa peine est commuée en prison à vie en raison de son sexe. Elle est libérée un an plus tard, à la suite d’une amnistie générale. De nouveau en prison en 1918, elle est élue au parlement britannique, mais comme nombre d’irlandais ne prend pas son siège car refuse l’allégeance à la couronne. En 1919, la future république d’Irlande forme son premier gouvernement, suite à la déclaration d’indépendance unilatérale le 21 janvier et Constance devient ministre du travail. C’est la première femme au monde à avoir un poste de ministre !
Constance meurt en 1927 suite à une opération de l’appendicite. Elle avait consacré tous ses moyens à sa cause et décède dans la section publique de l’hôpital, entourée de son mari et de Eamon de Valera, le premier président de la jeune république.
Symbole de l’engagement à la fois féministe, syndical et indépendantiste, Constance Markievicz est dans toutes les mémoires, on peut voir son buste à St Stephens Green.
Elles ont ainsi ouvert la voie du possible et sont des « role models » pour les générations futures. C’est aussi à cela que servent les légendes..





Another great story about Irish women this time – and its like always more than worth reading – And to learn that daffodils are already in flower in Dublin this time of the year when most of the Northern hemisphere still has snow – the green Isle at is best ! Great article Pauline !
J’aimeJ’aime
Bravo Pauline, toujours la même verve et le sens de la formule !
Guy Chatelain
J’aimeJ’aime