Brève histoire de l’Irlande 2/2

L’Irlande et la croix de saint Andre partie intégrante du Royaume Uni: tout est bien qui finit bien? Ha, dans les contes de fée seulement. En Irlande, l’égalité sur la papier ne s’accompagne pas d’une égalité dans les faits, l’acte d’union est un marché de dupes, les landlords disposent encore de beaucoup plus de droits que nécessaire et l’Irlandais est considéré par tous comme un citoyen de seconde zone. Et après, les Anglais s’étonnent que les Irlandais ne veuillent pas rester sous l’Union Jack! Pour paraphraser Astérix, on peut dire que ces irréductibles gaéliques résistent encore et toujours à l’envahisseur…

Ils vont peu à peu passer du pouvoir agricole au pouvoir législatif en passant par le pouvoir des armes.

La grande famine de 1845-1849 a profondément marqué les esprits, et reste gravée dans l’inconscient collectif encore maintenant. Une maladie avait décimé les récoltes de pomme de terre, source alimentaire principale des paysans. Cela eut du coup des conséquences désastreuses, à la fois alimentaires et juridiques pour les tenanciers, qui ne pouvaient ni s’acquitter de leur fermage ni nourrir leur famille. Les expulsions se sont ainsi ajoutées à la faim. (Il faut bien garder en tête la puissance léonine des landlords de l’époque.) Paradoxalement, l’Irlande a continué à exporter des céréales (blé, avoine..) durant la grand famine, seul moyen pour nombre de paysans de ne pas être expulsés, ce qui diminuait encore les ressources accessibles. Quand à la mer, qui regorgeait de trésors, les irlandais ne savaient pas l’exploiter à l’époque, on ne s’improvise pas pêcheur. La grand famine fut la première „catastrophe naturelle“ à amener de l’aide caritative du monde entier, même la reine Victoria a donné de l’argent prélevé sur ses deniers personnels. Mais la famine se prolongeant, cela a renforcé dans la conscience populaire l’image de l’Irlandais paresseux, si bien que Westminster apporta un peu d’aide certes, mais vraiment peu finalement, certains pensant même qu’une purge démographique aurait des avantages. Vous pensez bien que presque 200 ans plus tard, le tigre celtique ne l’a pas oublié.

De 8 millions d’habitants à la pauvreté criante mais en bonne santé (ben oui la patate c’est plein de bienfaits c’est bien connu ), l’Irlande qui était alors le pays le plus peuplé d’Europe chute entre décès et émigration à 3,5 millions. Le pays vient seulement cet automne 2021 de franchir la barre des 5 millions à nouveau, ça a même fait la une de tous les journaux irlandais, c’est vous dire l’importance de ce chiffre pour les irlandais.

Dès le début du 19e on avait assisté à de mouvements nationalistes, contrés à la fois par les anglais et par les puissantes forces orangiste d’Ulster, ce qui expliquera la partition ultérieure. Les Britanniques, malgré leur politique officielle de criminaliser les forces indépendantistes en les considérant comme des voyous de droit commun – ce qui évitait de reconnaitre qu’il s’agissait de politique (tactique ensuite reprise par Tatcher avec des conséquences dévastatrices lors des „troubles“) – étaient suffisamment lucides pour reconnaitre les puissants courants à l’œuvre en Irlande. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si il y avait en 1900 quasiment 40.000 forces armées britanniques en Irlande, plus que nulle part ailleurs dans tout le Commonwealth!

Avec la fin de la faim, le combat pour l’indépendance de l’Irlande s’est mené parallèlement sur tous les fronts: agricole, culturel, sportif, politique et militant.

Sur le plan agricole, et ce n’est pas un fait anecdotique, les Irlandais deviennent peu à peu propriétaires de leur propre terre puisqu’on passe de 3% de paysans propriétaires en 1870 à 64% en 1916, ce qui contribuera à renverser le rapport de forces

Sur un plan culturel et sportif on assiste à la fin du 19e à la création de la ligue gaélique et de la mythique GAA (association sportive) sans laquelle la vie sportive et associative de l’Irlande d’aujourd‘hui n’est même pas envisageable. Si vous pouvez avoir un ticket, allez voir un match un jour au Croke Park, stade culte des irlandais, vous comprendrez. C’est ainsi que parallèlement à l’émigration qui se poursuit, une conscience nationale commence à émerger, encouragée par des politiciens tels que Parnell, et l’idée s‘implante que oui on peut être fier d’être irlandais! Outre l‘unité et la fierté nationale, la création de  ces deux associations amorce un renouveau de la langue gaélique qui devient par là le symbole de résistance au Royaume Uni.

Sur un plan militant, la Irish Republican Brotherhood (ancêtre de l’IRA) est fondée en 1867 et le Sinn Fein est créé dès 1903. Ce seront deux forces majeures dans le soulèvement de Paques en 1916.

De facon intéressante, le sort de l’Irlande intéresse beaucoup de monde: nombre de socialistes européens dont Marx et Engels (pour la petite histoire, Engel aura tour à tous 2 soeurs irlandaises comme compagne, mais il n’épousera que la seconde sur son lit de mort, le mariage c’est une institution bourgeoise c’est bien connu), mais aussi bien évidemment la diaspora américaine qui a peu a peu gagné ses galons de reconnaissance après la guerre de sécession et dont le poids dans les jeunes institutions américaines (la police notamment) est loin d’être négligeable.

Bon, je vous épargne un paquet de péripéties, il suffit de savoir que dès l’Acte d’Union, sur un plan politique cette fois, la majorité des irlandais revendique plus d’indépendance, ce qui mènera à des projets de loi à Westminster en ce sens, le Home Rule. Par une des ces ironies dont l’histoire a le secret, la première mouture du Home Rule de 1186 échoue à la première chambre, la 2e de 1893 à la 2 chambre..et la 3e passe les deux chambres…en 1914 juste quand le Royaume-Uni rentre en guerre avec le reste de l’Europe! C’est peu dire que le timing est mauvais, la mise en application du Home Rule est repoussée à la fin de la guerre. Personne ne sait encore qu’elle durera aussi longtemps.

Les Irlandais réagissent doublement au début de la guerre: beaucoup d’irlandais s’engagent volontairement sur le front pour gagner la reconnaissance de leurs „pairs“ britanniques par le don du sang. Parallèlement, d’autres engagent des négociations avec les alliés, la diaspora américaine, mais aussi les allemands pour obtenir des renforts à la cause de l’indépendance.

Tout ceci sera occulté dans la mémoire collective par le „Easter Rising“, le soulèvement de Pâques 1916. Il est de ces évènements qui ne deviennent Historiques avec un grand H que dans un second temps. Le soulèvement de Pâques fait partie de ceux la. Il a vraiment été organisé par une toute petite minorité de militants, en pleine guerre mondiale, qui même si elle ne se déroulait pas sur le sol irlandais, n’en mobilisait pas moins une partie des ressources du pays. Le lundi 24 avril 1916, quelques bataillons de la IRB (Irish Republican Brotherhood) prirent possession de plusieurs bâtiments clé de Dublin. A 13h, Pearse proclame la république indépendante d’Irlande , c’est le fameux texte que l’on trouve affiché dans tout Dublin aujourd’hui. Lisez le, vous serez étonnés de sa modernité (cf. photo plus bas). L’effet de surprise était du coté des rebelles, mais ils ne surent pas l’exploiter, et après que 1.100 hommes eurent combattu 5 jours durant contre 16.000 britanniques et irlandais aussi, les insurgés se rendirent.

Une bonne partie de l’opinion publique n’était meme pas au courant qu’un soulèvement se préparait, mais ce qui a rallié la quasi totalité de l’opinion à la cause, ce fut moins le soulèvement que sa répression, sans pitié. A une seule exception près, absolument tous les organisateurs furent exécutés manu militari, certains meme ranimés pour pouvoir arriver au peloton d’exécution. (Valera n’a été sauvé que grace à sa nationalité américaine)

A partir delà, ce n’était plus qu’une question de temps. Le Sinn Fein fut un acteur majeur de l’indépendance, notamment grâce aux élections de décembre 1918: beaucoup de ses membres étant en prison, il suffisait de les faire élire; ce fut chose faite pour nombre d’entre eux grâce au slogan „put him in to get him out“. Les résultats de l’élection furent d’autant plus spectaculaires que l’électorat irlandais avait beaucoup augmenté du fait du vote octroyé aux femmes (NB: la France attendra 1947, no comment..). Fait intéressant, le Sinn Fein voulait se faire élire, mais surtout pas siéger à Westminster, organisant par la une résistance passive massive. Cela devint une résistance active, lorsque le 21 janvier 1919, les élus Sinn Fein proclamèrent au Mansion House de Dublin la république indépendante d’Irlande et l’établissement du Dail Eireann, parlement „officiel“ de la république indépendante. Parallèlement, le pouvoir de l’IRA augmente.

Le rôle des USA n’est pas à négliger .. en effet, on ne fait pas la guerre l’estomac vide, c’est un fait connu. Et le nerf de la guerre, c’est encore et toujours l’argent.. comment l’IRA et le mouvement indépendantiste ont ils tenu dans la durée? En empruntant.. ils voulaient emprunter 1,2 Mio. à l’étranger… et on récolté quasiment 6 Mio. de dollars de la diaspora américaine!

Fait intéressant: le président Wilson était fils d’un pasteur d‘origine ulstérienne, et par conséquent peu intéressé par l’indépendance de l’Irlande n’a pas encouragé celle ci. En revanche, il rêvait d’une grande société des nations, qu’il a créé, mais son indifférence face au sort d’Erin en a indisposé plus d’un et, fait peu connu, ce fut l’une des raisons du refus du sénat américain de ratifier l’adhésion des USA à la SDN !

Apres la déclaration d’indépendance royalement ignorée par les britanniques, deux vies parallèles se sont organisées: pour les anglais, officiellement aucune guerre civile en Irlande, que quelques hooligans, et en Irlande, l’établissement d’un pouvoir temporel, politique et judiciare parallèle. De facon concommittante, une sorte de guérilla chronique s’est mise en place: meutres, incendies, embuscades, et ripostes, les Britanniques ouvrant même le feu arbitrairement sur des spectateurs de croke park le jour d’un match gaélique en 1920, premier (mais helas pas le dernier) Bloody Sunday, tuant 14 personnes.  Le pays a vécu 3 ans dans cette semi-schizophrénie, avant que Westminster ne se résolve à accepter l’inévitable: l’indépendance de l’ile verte

Il faut dire qu‘après 3 ans de guérilla, les 2 cotés commencent à fatiguer et sont prêts à négocier. Eamon de Valera ainsi que paradoxalement Michael Collins, l’un des patrons de l’IRA joueront un rôle fondamental dans ces négociations. Le jour de la Saint Nicolas (entre Pâques et l’Avent, les dates irlandaise ne manquent pas de références catholiques!) le 6 décembre 1921 , c’est la signature du traité anglo-irlandais, qui ne fait qu’admettre une situation déjà factuelle finalement. La séparation des deux Irlande, se fait: 26 comtés du coté de l’Etat libre et 6 du coté des unionistes, selon des critères électoraux plus proches du „gerrymandering“ (charcutage électoral) que du bon sens, ce qui mènera aux „troubles“ des années plus tard.

La république d’Irlande reste partie prenante du Commonwealth, elle n’en sortira qu’en 1949; statut de dominion, droits régaliens des britanniques dans certains ports irlandais, autant de points d’achoppement qui mèneront dès l’entrée en vigueur du traité à une guerre civile entre les partisans et les opposants du traité, guerre civile qui ne s’achèvera qu’en 1923.
Valera, qui pense à son avenir politique, n’était pas à la table des négociations finales, se doutant que le résultat ne satisferait pas les irlandais. Collins, qui souhaite la fin de la guérilla après avoir l’avoir largement orchestrée, signe le traité lui, et en signant le traité il signe également son arrêt de mort: il sera tué quelques mois plus tard par des membres de l’IRA , farouches adversaires du traité. Valera lui, sera en tant que premier ministre puis président aux commandes de l’Etat libre d‘Irlande durant 40 ans. C’est ainsi que l’Irlande accouche dans le sang d’un Etat libre et de 6 comtés loyalistes.

PS Je m’excuse; l‘article est trop long et dans sa gestation et dans sa version finale, et encore je vous ai épargné beaucoup de péripéties…dès la semaine prochaine je repasse à des sujets plus légers!

Pour les lecteurs désireux d’en apprendre plus, je recommande l’excellent „Histoire de l’Irlande et des Irlandais“ de Pierre Joannon, ma source principale pour ce résumé.

Déclaration d’indépendance

Publié par pchatelain

Je suis une Française qui habite actuellement en Irlande et qui s intéresse particulièrement à la valeur des mots

2 commentaires sur « Brève histoire de l’Irlande 2/2 »

  1. très bonne et intéressante synthèse sur l’histoire de l Irlande !vue du côté Irlandais ! je suppose quel histoire vue par les anglais doit être autre !mEnvoyé depuis mon smartphone Samsung Galaxy.

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  2. Effarant. Un pan d’histoire bien trop méconnu. Pauvre Irlande, convertie, exploitée, méprisée, affamée, executée, cela ne peut que profondément attrister et révolter. Enorme travail de digestion et synthèse pour arriver à ces quelques pages très bien écrites, presque légères malgré la lourdeur de l’Histoire. Bravo PChatelain, je me réjouis de lire les prochains articles!

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