« … ce que l’Irlande exporte : des enfants et des prêtres, des nonnes et des biscuits, du whisky et des chevaux, de la bière et des chiens » (Heinrich Böll, Journal Irlandais, page 12, Traduction propre)
Oui l’Irlande exporte ses enfants, j’ai nommé la diaspora.
Beaucoup de pays ont une diaspora. Mais en ce qui concerne l’Irlande, celle-ci occupe une place capitale, à la fois en termes de nombre (on estime que la diaspora irlandaise, descendants compris, est 10 à 15 fois plus importante que les 5 millions vivant en Irlande, plus de 70 millions de personnes), et en termes d’influence (regardez les USA : les Irlandais sont très souvent présents dans les films et séries, aussi pour incarner les 2 côtés de la loi d’ailleurs mais bon passons), mais la diaspora occupe aussi une place fondamentale dans le conscient et l’inconscient collectif. C’est simple : absolument chaque famille irlandaise a une partie de sa famille à l’étranger qui au Royaume Uni, qui aux USA, qui en Australie. (Beaucoup plus rare est la diaspora vivant dans des pays non anglophones en revanche). Pour les Irlandais ce sont des familles normales. Alors certes l’Histoire n’est pas la même. Il n’empêche qu’en 2021 et membres de l’Union Européenne, les Irlandais ont encore ancrée en eux une forte culture de l’émigration.
Du coup, ce qui est constitutif du peuple irlandais, plus que l’attachement au sol c’est l’attachement au sang. La majorité de la nation irlandaise vit hors de l’Etat d’Irlande, mais garde un sentiment d’appartenance au « old country ». Alors qu’est être irlandais ? C’est avoir une origine irlandaise, c’est avoir le sentiment d’être irlandais, même si on peut avoir un passeport différent. Qu’on soit émigré ou petit fils d’émigrés, la culture se transmet ensuite à travers plusieurs générations. Ce qui permet ensuite le cas échéant de revendiquer son ascendance si on veut récupérer un passeport irlandais, John le Carré en est un bel exemple.
Dans le melting-pot des USA, la part la plus importante de la population d’origine européenne, ce ne sont ni les Irlandais ni les Anglais mais les Allemands. Simplement les Irlandais ont continué à cultiver et revendiquer leur culture, ce que n’ont pas fait les Américains d’origine germanique. Et c’est ainsi que chaque candidat à l’élection américaine se doit d’essayer de séduire l’électorat irlandais.
Le Irish Times consacre régulièrement des articles aux Irlandais de l’étranger, dans une chronique intitulée « abroad » : que ce soit leur vie à l’étranger, leurs projets de vacances, leur mauvaise conscience d’avoir quitté le « old country », leur éventuel retour en Irlande, ou plus récemment lors de la pandémie leur impossibilité de revenir au pays. Les irlandais appellent leur diaspora les « emigrants », là où les Français parleraient d’ »expats » ou de « Français de l’étranger », qui ne sont pas perçus comme une diaspora d’ailleurs. Et les « expats » français ne deviennent intéressants pour les médias et la collectivité qu’à l’approche d’élections importantes. Ils sont de toute façon priés de revenir en France dès leur contrat fini, sous peine d’être au mieux enviés ou dédaignés, au pire considérés comme des traîtres.
Mais pour les Irlandais, cela reste d’autres irlandais avant tout. La diaspora fait tout simplement partie de l’ADN des Irlandais.
D’où l’importance des pubs à l’étranger. Lors des exposés de mes étudiants de 2e année sur les différentes villes d’Allemagne dans lesquelles ils sont appelés à étudier l’année suivante, il y a systématiquement une description du pub irlandais de la ville en question avec nom et photo. Et dans la seule ville partenaire où il n’y a pas de pub irlandais, le fait est toujours mentionné.
A Noel, on assiste à deux formes de mobilité intéressantes : mobilité postale et mobilité humaine. Mobilité humaine : c’est à Noël que les aéroports irlandais connaissent leur plus gros trafic, et de loin. Mobilité postale : s’il est courant de voir le nombre de paquets envoyés en décembre fortement augmenter un peu partout sur la planète, en Irlande le contenu et la destination sont particulièrement intéressants à examiner : il s’agit de produits irlandais, alimentaires surtout. Les Irlandais d’Irlande envoient ainsi des cookies, sauces, confitures, relish, fromages et whiskey à leur famille et amis à l’étranger (cf.photo). D’ailleurs, des entreprises se sont même spécialisées dans ce commerce assez particulier et peuvent préparer et envoyer des coffrets tout prêts pour vous. Vu ce qu’ils facturent, c’est un business lucratif..
En ce printemps 2021, la seule chose qui a réellement fait hésiter le gouvernement irlandais à instaurer sa sinistre et onéreuse quarantaine de 12 jours à l’hôtel dans des chambres à la propreté douteuse, c’est le retour possible d’émigrés irlandais. Qui n’auraient peut-être pas les moyens de payer la quarantaine et qui ont de toute façon une maison familiale, dans laquelle ils peuvent la passer. Le reste de la planète en revanche peu importe… le cas des autres nationalités vivant en Irlande, des voyages professionnels ou touristiques n’a même pas été abordé c’est vous dire.
Pour la petite histoire, ce qui manque le plus aux émigrés, l’équivalent des cornichons pour les expats français, ce sont les chips TAYTO. IL faut dire qu’il y a peu de cantines scolaires et professionnelles, par conséquent c’est la lunch box qui prédomine, ladite lunch box souvent composée d’un sandwich, d’un fruit ou sucrerie. Et d’ un petit paquet de chips TAYTO , qui devient la madeleine de Proust pour ceux qui partent..


bravo, toujours aussi bien écrit et documenté !
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